16
MASHHAD DANS LE MIROIR
DES VOYAGEURS OCCIDENTAUX
Eslâmî et Qods) en 1989 et 1991. Une route et des parkings souterrains, de
nouvelles cours (Djâme‘-e Razavî, Kowsar, Ghadîr et Hedâyat), plusieurs
rewâq importants (Emâm Khomeynî, Dâr ol-Hodjah) sont encore édifiés
dans les années 1990-2000. Au début des années 2010, le sanctuaire forme un
complexe immense, entièrement modernisé et partiellement encore en chantier
(fig. 78). Tout autour du sanctuaire, des hôtels et des bazars en construction
témoignent de la dynamique d’une ville devenue la deuxième ville de l’Iran,
un pôle économique majeur du pays et l’un des centres de pèlerinage les plus
importants au monde.
Les voyageurs occidentaux à Mashhad
Le premier témoignage européen sur Mashhad est celui de l’ambassadeur
castillan Ruy González de Clavijo au début du XVe siècle (texte [2]). Les
voyageurs se firent plus nombreux à l’époque safavide, au long du XVIIe
siècle, alors que les relations diplomatiques entre la Perse et l’Europe se firent
plus intenses. Le Fr. António de Gouveia (texte [3]), le Père Raphaël du Mans,
Jean-Baptiste Tavernier (texte [4]), Jean Chardin (textes [5]-[6]), Engelbert
Kaempfer (texte [7]) ont pourtant peu parlé de la cité sainte, qu’ils n’ont pour
la plupart pas visitée, mais ont laissé des descriptions détaillées d’Ispahan,
capitale safavide à partir de 1598. La ville, néanmoins, est connue des savants
occidentaux, même si les villes de Tus (à environ 20km de Mashhad) et
de Neyshâbur (à environ 70km à vol d’oiseau à l’ouest de Mashhad) sont
plus souvent mentionnées. L’orientaliste français Barthélemy d’Herbelot de
Molainville (1625-1695) parle ainsi de la ville sainte dans sa Bibliothèque
orientale, ou Dictionnaire universel:
Cette Ville, pour avoir été honorée du sépulcre de l’Imam Riza, en a
perdu son nom13: car depuis qu’il y fut enterré, elle a toujours été appellée
Maschhad Ali, ou simplement Maschhad, c’est-à-dire, le sépulcre d’Ali Riza,
ou le sépulcre par excellence, ou plutôt le lieu du martyre, ou du témoignage
de cet Imam. Cette Ville est celle que nos Géographes nomment ordinairement
Mexad ou Mexat, mot que l’on doit prononcer à la Portugaise, c’est-à-dire la
lettre x, comme le ch François. Cet Imam, qui pendant sa vie étoit fort estimé
pour son abstinence & pour son application à la priere, est maintenant révéré
L’auteur évoque la ville voisine de Thous (Tus), dont la destruction à la fin du XIVe siècle
(voir p. 243) profita au développement de Mashhad.
13
LES VOYAGEURS OCCIDENTAUX À MASHHAD
dans cette Ville à un point, que les Persans y vont en pèlerinage de tous côtés,
comme au lieu estimé le plus saint de toute la Perse. Il y a un asyle pour
toutes sortes de gens, & pour toutes sortes de crimes; & l’on y défraye tous les
pélerins. Khondemir cite un Auteur Persien, qui dit qu’une seule visite de ce
sépulcre est d’un aussi grand mérite que 8o pélerinages de la Mecque entrepris
par dévotion au-delà de celui dont l’obligation est prescrite par la loi.14
Les voyageurs furent rares au XVIIIe siècle, mais dès l’époque qâdjâre,
les voyageurs européens, principalement anglais, se sont succédés à
Mashhad.15 Dans ce XIXe siècle, qui voit le développement de l’orientalisme,
des musées, des expéditions scientifiques et du tourisme, l’Iran devient
également un terrain d’influences, voire d’affrontements des grandes
puissances occidentales, à l’heure où l’impérialisme et le colonialisme
européens connaissent leur apogée en Orient et en Extrême-Orient. À partir
de quelques comptoirs, les Anglais finissent par contrôler toute l’Inde vers le
milieu du XIXe siècle. Dès les années 1850, les Russes s’emparent de l’Asie
centrale, prenant Boukhara en 1868 et Khiva en 1872. Dans la deuxième
partie du XIXe siècle, la rivalité anglo-russe en Asie centrale constitue ce que
l’on appela le «Grand Jeu».16 Mashhad, en territoire iranien mais proche des
steppes turkmènes, non loin aussi de l’Afghanistan que se disputent Anglais
et Russes, était, de par sa situation géographique et son importance religieuse,
une ville relais et une position stratégique intéressante pour les Anglais et pour
les Russes.
Les récits de voyage et de séjour des auteurs s’inscrivent ainsi, pour la
plupart, dans un contexte géopolitique marqué par les rivalités occidentales.
Nombre d’auteurs britanniques ayant écrit sur Mashhad au cours du XIXe
siècle, furent impliqués dans les grandes manœuvres politiques et militaires
du temps. Fonctionnaire de la East India Company, Edward Hamilton Stirling
(1797-1873) fut envoyé en mission secrète de reconnaissance au Khorâsân
14
Bibliothèque orientale, ou Dictionnaire universel, contenant généralement tout ce
qui regarde la connoissance des peuples de l’Orient, Maestricht: Chez J. E. Dufour & Ph.
Roux, 1776, p. 90 (article «ALI Ben Moussa al-Kadhem»). On verra également sous l’article
«MASCHEHAD» (p. 568-569) et «PAZOUPERHIN» (p. 694).
15
On verra une liste des voyageurs étrangers à Mashhad dans M. Streck, «Mashhad»,
in Encyclopédie de l’Islam, tome VI, p. 705. Le détail des éditions est mentionné dans la
bibliographie IV.2.
16
Elena Andreeva, Russia and Iran in the Great Game. Travelogues and Orientalism, New
York: Routledge, 2007.
17
18
MASHHAD DANS LE MIROIR
DES VOYAGEURS OCCIDENTAUX
2- Carte du Khorâsân publiée dans «Méched, la ville sainte,
et son territoire» du prince Nicolas de Khanikoff, en 1861.
et passa trois mois à Mashhad en 1828.17 Le lieutenant Arthur Conolly (fig.
4), à Mashhad en 1830,18 fut envoyé en 1841 en Asie centrale, pour tenter de
contrer l’influence russe grandissante dans la région. Il fut exécuté en 1842
à Boukhara, avec le lieutenant-colonel Charles Stoddart qu’il était venu,
sans succès, délivrer des mains de l’émir de la ville.19 Une année plus tard,
17 Le journal de son périple, demeuré inédit du vivant de l’auteur, a été publié par J. Leveen Lee
(The journals of Edward Stirling in Persia and Afghanistan, 1828-1829. From Manuscripts in the
Archives of the Royal Geographical Society, Naples: Istituto universitario orientale, Dipartimento
di studi asiatici, 1991).
18 Son livre Journey to the North of India, Overland from England, Through Russia, Persia, and
Affghaunistaun fut publié à Londres en 1834 (seconde édition, 1838).
19 Henry Manners Chichester, «Conolly, Arthur», in Dictionary of National Biography, vol. 12,
New York: MacMillan, 1887, p. 24-26.
LES VOYAGEURS OCCIDENTAUX À MASHHAD
le missionnaire d’origine juive Joseph Wolff partit à la recherche des deux
militaires et publia également le récit de son voyage en 1845.20 Le lieutenant
Alexander Burnes (fig. 5), qui passa à Mashhad en 1832,21 avait été envoyé en
Afghanistan et fut tué lors d’un soulèvement à Kaboul en 1841.22 L’orientaliste
et diplomate Edward Backhouse Eastwick fut chargé, à sa demande, de la
Mission anglaise au Khorâsân23 et raconta son séjour à Mashhad en 1862 dans
un livre publié en 1864.24 L’officier britannique Valentine Baker (dit Baker
Pasha) passa à Mashhad en 1873, lors d’une expédition en Asie centrale.25
Entré dans l’armée des Indes en 1856, le colonel Charles Metcalfe MacGregor
(fig. 8) effectua un voyage à titre privé en 1875, commencé à Bombay, et qui
le vit traverser la Perse et regagner la Grande-Bretagne par la Russie.26 De
passage à Mashhad en 1885, le lieutenant Arthur Campbell Yate faisait partie
d’une commission envoyée en 1884 par le gouvernement britannique à Kohsân,
à l’ouest de Herat (Afghanistan), pour fixer, avec les Russes, une frontière
marquant les limites d’influence des deux grandes puissances.27 Frère de A.
C. Yate, le lieutenant-colonel Charles Edward Yate fut nommé consul-général
britannique de sa Majesté pour le Khorâsân et le Sistân en Perse (textes [91][92]) et résida à Mashhad entre 1893 et 1897.28 Marquis de Kedleston, George
Nathaniel Curzon voyagea abondamment, entre 1887 et 1894, en Russie, en
Extrême-Orient, en Inde et en Perse (il passa à Mashhad en 1889), puis devint
vice-roi et gouverneur-général de l’Inde entre 1898 et 1905.29 Harry Stanley
20 Narrative of a Mission to Bokhara, in the Years 1843-1845, to Ascertain the Fate of Colonel
Stoddart and Captain Conolly.
21 Il publia Travels into Bokhara; Being the Account of A Journey from India to Cabool, Tartary,
and Persia à Londres en 1834.
22 Malcolm E. Yapp, «Burnes, Alexander», in Encyclopædia Iranica, vol. IV, 1990, p. 566.
23
Parvin Loloi, «Eastwick, Edward Backhouse», in Encyclopædia Iranica, Online edition,
2009:
http://www.iranicaonline.org/articles/eastwick-edward-backhouse24 Journal of a Diplomate’s Three Years Residence in Persia.
25
Dorothy Anderson, Baker Pasha: Misconduct and Mischance, Norwich: Michael Russell
Publishing Ltd, 1999. Baker publia Clouds in the East en 1876.
26 Svetlana Gorshenina, Explorateurs en Asie centrale. Voyageurs et aventuriers de Marco Polo
à Ella Maillart, Genève: Olizane, 2003, p. 171-173. MacGregor publia Narrative of a Journey
Through the Province of Khorassan and of the N. W. Frontier of Afghanistan in 1875 en 1879.
27
Daniel Balland, «Boundaries iii. Boundaries of Afghanistan», in Encyclopædia Iranica, vol.
IV, 1990, p. 407-408. A. C. Yate publia Travels with the Afghan Boundary Commission en 1887.
28 Il publia Khurasan and Sistan en 1900.
29 Denis Wright, «Curzon, George Nathaniel», in Encyclopædia Iranica, vol. VI, 1993, p. 465470. Curzon publia Persia and the Persian Question en 1892.
19
20
MASHHAD DANS LE MIROIR
DES VOYAGEURS OCCIDENTAUX
Massy participa à la guerre afghane de 1878-1880 et profita d’un congé pour se
rendre, depuis l’Inde, en Iran, où il passa à Mashhad en 1893. Le major Percy
Molesworth Sykes servit d’abord dans un régiment de cavalerie britannique
en Inde, puis se consacra à des missions de renseignement et consulaires en
Perse, au cours desquelles il séjourna régulièrement à Mashhad, en 1893,
1902 et entre 1905 et 1912.30
Pour autant, tous les voyageurs anglophones à Mashhad ne furent pas
en mission militaire ou diplomatique. C’est le cas de l’écrivain écossais
James Baillie Fraser (fig. 3),31 qui, après son passage à Mashhad en 1822,
a donné la première description complète de la ville.32 Il résida à nouveau
dans la ville en 1833 et évoqua ce séjour dans A Winter’s Journey from
Constantinople to Tehran, publié à Londres en 1838.33 Plus tard dans le
siècle, d’autres voyageurs, aux motivations diverses, se sont succédés à
Mashhad: l’Américain James Bassett, missionnaire presbytérien, en 187834;
le correspondant de guerre irlandais Edmond O’Donovan en 1880, qui fut fait
prisonnier à Merv par les Turkmènes, le soupçonnant d’être un espion russe35;
le professeur américain Abraham Valentine Williams Jackson, spécialiste des
langues indo-iraniennes, en 1907.36
Les voyageurs français ou francophones furent moins nombreux. L’auteur
du premier témoignage du XIXe siècle, le capitaine Truilhier, fit partie de la
mission Gardane (1807-1809), chargée par Napoléon d’étudier l’Iran, en vue
30
Denis Wright, «Sykes, Percy Molesworth», in Encyclopædia Iranica, Online edition, 2008:
http://www.iranicaonline.org/articles/sykes-percy et Antony Wynn, Persia in the Great Game. Sir
Percy Sykes, Explorer, Consul, Soldier, Spy, London: John Murray, 2003. Sykes publia The Glory of
the Shia World, avec la collaboration de Khan Bahadur Ahmad Din Khan («Attaché to the British
Consulate-General»), en 1910.
31 Denis Wright, «Fraser James Baillie», in Encyclopædia Iranica, vol. X, 2001, p. 192-195.
32
Il publia Narrative of a Journey into Khorasân, in the Years 1821 and 1822 en 1825. Une
traduction française, qui ne reprend pas l’intégralité du texte, a paru dans la série «Bibliothèque
universelle des voyages», à Paris en 1835.
33 Denis Wright, «Fraser James Baillie», in Encyclopædia Iranica, vol. X, 2001, p. 192-195.
34 Il publia Persia. The Land of the Imams. A Narrative of Travel and Residence 1871-1885
en 1887.
35
Encyclopædia Britannica, 11th Edition, vol. XX, Cambridge: At the University Press, 1911,
p. 9. Il publia The Merv Oasis. Travels and Adventures East of the Caspian During the Years 187980-81 en 1882.
36 Edward Delavan Perry, «Abraham Valentine Williams Jackson», in Journal of the American
Oriental Society, 58, 2, 1938, p. 221-224. Jackson publia From Constantinople to the Home of
Omar Khayyam en 1911.
LES VOYAGEURS OCCIDENTAUX À MASHHAD
3- Portrait de James Baillie Fraser
par William Brockedon en 1833.
National Portrait Gallery, Londres.
4- Portrait d’Arthur Conolly par
James Atkinson vers 1840.
National Portrait Gallery, Londres.
5- Portrait d’Alexander Burnes,
habillé du vêtement traditionnel
de Boukhara, et paru dans Cabool:
Being a Personal Narrative of a
Journey To, and Residence in That
City, 1836-38 en 1842.
6- Hermann Vámbéry en habit de
derviche, photographié vers 1860.
7- Portrait de Nicolas de Khanikoff,
publié en 1884.
Bibliothèque Nationale de France.
8- Portrait de Charles Metcalfe
MacGregor, par Michael Ciardiello
en 1883.
21
22
MASHHAD DANS LE MIROIR
DES VOYAGEURS OCCIDENTAUX
d’une invasion de l’Inde britannique avec la collaboration de la Perse.37 De
passage à Mashhad en 1845, Joseph Pierre Ferrier, «Ancien adjudant général
au service de Perse», fut parmi les officiers français prêtés au gouvernement
persan du roi qâdjâr Mohammad Shâh en 1839.38 En 1858, le prince d’origine
russe Nicolas de Khanikoff (fig. 7) dirigea une expédition scientifique,
financée par le gouvernement russe, au nord et au centre de l’Iran39; à son
retour, il publia, sur Mashhad et sa région, un Mémoire et un article (fig. 2).40
En 1907, le bibliothécaire et historien Henry-René d’Allemagne, connu pour
un ouvrage sur Les Cartes à jouer du XIVe au XXe siècle (1906), fit un long
périple en Iran, qu’il raconta dans quatre beaux volumes richement illustrés,
consacrant quelques pages à Mashhad.41
Enfin, il faut citer le turcologue hongrois Arminius (Hermann) Vámbéry,
qui passa à Mashhad en 1863, au cours du long périple qu’il effectua en Asie
centrale, déguisé en derviche (fig. 6).42
Voir Mashhad au XIXe siècle
Pour l’Iran, le XIXe siècle fut une époque charnière. C’est au cours
de ce siècle que, progressivement, les idées, la technologie et la culture
Jean Calmard, «Gardane Mission», in Encyclopædia Iranica, vol. X, 2001, p. 292-297.
Gavin R. G. Hambly, «Ferrier, Josephe-Pierre», in Encyclopædia Iranica, vol. IX,
1999, p. 535-536. Caravan Journeys and Wanderings in Persia, Afghanistan, Turkistan and
Beloochistan, édité par H. D. Seymour depuis le manuscrit original en français, fut publié à
Londres en 1856. L’édition française, Voyages et aventures en Perse, dans l’Afghanistan, le
Beloutchistan et le Turkestan, fut publiée à Paris en 1870.
39
On trouvera une note sur l’expédition dirigée par Khanikoff en 1858, dans L’année
géographique, par M. Vivien de Saint-Martin, Première année, Paris: Librairie de L. Hachette et
Cie, 1863, p. 240-242.
40
Mémoire sur la partie méridionale de l’Asie centrale et «Méched, la ville sainte, et son
territoire» (Le Tour du Monde) furent tous deux publiés en 1861.
41 Du Khorassan au pays des Backhtiaris: trois mois de voyage en Perse fut publié en 1911.
On verra le compte rendu de G. Jacqueton, «Henry-René d’Allemagne. Du Khorassan au pays
des Backhtiaris, trois mois de voyage en Perse», in Bibliothèque de l’école des chartes, 74, 1,
1913, p. 155-159.
42 Il publia Reise in Mittelasien von Teheran durch die Turkmanische Wüste an der Ostküste
des Kaspischen Meeres nach Chiwa, Bochara und Samarkand, ausgeführt im Jahr 1863 en
1865 et Meine Wanderungen und Erlebnisse in Persien en 1867. Une traduction française de
1865, basée sur la version anglaise de ses récits, a fait l’objet d’une réédition: Voyages d’un faux
derviche dans l’Asie Centrale: de Téhéran à Khiva, Bokhara et Samarcand par le grand désert
Turkoman, traduit de l’anglais par E. D. Forgues, Paris: You-Feng, 1987.
37
38
VOIR MASHHAD AU XIXE SIÈCLE
européennes s’introduisirent dans les élites iraniennes, et que se formèrent
ou s’avivèrent les débats, toujours actuels, entre traditions et modernité,
iranité et occidentalisation, islam et influences non-musulmanes. Au regard
de la modernisation promue au XXe siècle par les Pahlavi, le XIXe siècle
des Qâdjârs apparaît comme la dernière époque «traditionnelle» de l’Iran,
au sens où la structure politique et sociale, l’économie, la culture, la piété,
les arts et artisanats, étaient encore profondément enracinés dans les époques
antérieures. De cela, les voyageurs ont abondamment témoigné, explicitement
ou indirectement. Dans un pays régi par une structure royale et aristocratique
du pouvoir, veiné par un pouvoir clérical à l’influence et à l’autorité
considérables, peu industrialisé et vivant d’un commerce traditionnel de
bazars et de caravanes marchandes, ils ont également évoqué des traditions
et des coutumes qui, transformées, ont pour certaines d’entre elles perduré
jusqu’à nos jours – la spiritualité du pèlerinage, la cuisine, l’hospitalité, un
certain art de vivre, des pratiques sociales. Ils ont également témoigné des
enjeux idéologiques et culturels propres à ce siècle, avec lesquels ils se sont
parfois trouvés en prise directe: Fraser (textes [100], [101]) et Khanikoff (texte
[102]) ont pu, lors de discussions sur l’astronomie, défendre la «révolution»
copernicienne face aux conceptions ptolémaïques de leurs interlocuteurs. Lus
aujourd’hui, dans l’éclairage et la lucidité qu’apporte la distance de l’histoire,
leurs témoignages n’en revêtent que plus de pertinence pour qui veut mesurer
les changements des derniers siècles, et apprécier l’évolution d’une ville sainte
longtemps «terra incognita» en Occident.
Il y a un siècle ou deux, le séjour d’Européens à Mashhad était un événement
plutôt rare, et qui attirait facilement l’attention. Ferrier note que sa «présence
y fut connue, dans tous les quartiers, en moins de deux heures.»43 Khanikoff
écrit avoir dû retarder son arrivée pour donner le temps aux autorités de «me
préparer un logement dans cette sainte ville où un chrétien n’est jamais le
bienvenu».44 Les conditions de visite de la ville, comme le contexte de séjour
des auteurs, expliquent ou mettent en valeur l’intérêt comme les limites de
leurs témoignages.
Ainsi, le sanctuaire de l’Imam Rezâ est-il le seul monument notoire de
la ville, mais, interdit aux non-musulmans, il fut le lieu le plus difficile et
le plus problématique à voir pour les voyageurs européens.45 Certes, comme
43
44
45
Voyages et aventures en Perse, tome 1, p. 225.
«Méched, la ville sainte, et son territoire», p. 278.
Voir par exemple: Conolly, Journey to the North of India, vol. 1, p. 237-238; Ferrier, Voyages
23
24
MASHHAD DANS LE MIROIR
DES VOYAGEURS OCCIDENTAUX
le remarque Curzon, nombre d’entre eux ont pu accéder à l’ancienne cour
(aujourd’hui sahn-e Enqelâb) ou même – comme Fraser (textes [37]-[38]),
Conolly (texte [39]) ou Massy (texte [43]) – au cœur du mausolée.46 Les
visites, pour autant, ne se firent pas sans risque, et certains ne voulurent pas,
comme Vámbéry ou Massy, se déguiser en derviche ou en Afghan pour rentrer
dans les espaces intérieurs: Bassett, par exemple, envoya un artiste persan
faire un dessin de l’intérieur.47 Lors de son séjour de 1822, Fraser se rendit
accompagné dans l’ancienne cour (sahn-e Enqelâb) et dans la madrasa Mîrzâ
Dja‘far attenante, ce qui suscita l’ire du superintendant et la colère en ville.48
Fraser se convertit – en apparence – à l’islam, afin de dénouer, au moins
partiellement, la situation.49 Pourtant, lors de son passage en 1833, il se rendit
dans l’ancienne cour «autrefois interdite pour moi, – maintenant ouverte à
tous les Européens.»50
L’accueil des non-iraniens et des non-musulmans a pu varier selon les
périodes et les circonstances, et globalement évoluer à mesure que Mashhad
était de plus en plus fréquentée par les Européens et les Russes au long du
XIXe siècle. La question de la religion intervint beaucoup; elle fut sensible par
l’interdiction du sanctuaire de l’Imam aux non-musulmans, mais elle émergea
aussi au gré des conversations. En 1822, Fraser écrivait que «la bigoterie et
l’intolérance de ces gens m’ôtaient toute chance de bénéfice ou de plaisir
à tirer de discussions morales ou religieuses.»51 Après sa «conversion» à
l’islam, le vizir pressa Fraser de questions sur le christianisme, sur la Trinité et
le Sauveur, et l’auteur de noter que l’audience fut respectueuse de ses propos.52
En 1832, Burnes dit n’avoir pas rencontré la bigoterie évoquée par Fraser,53
et Ferrier écrivait «que le pèlerin fait exception par son fanatisme aux autres
Persans, surtout aux grands seigneurs, qui montrent autant de tolérance qu’il
et aventures en Perse, tome 1, p. 240-241; MacGregor, Narrative of a Journey Through the
Province of Khorassan, vol. 1, p. 282; O’Donovan, The Merv Oasis, vol. 1, p. 488.
46 Persia and the Persian Question, vol. 1, p. 159-160.
47 Persia. The Land of the Imams, p. 224-225.
48 Narrative of a Journey into Khorasân, p. 502.
49 Ibid., p. 510-511.
50 A Winter’s Journey from Constantinople to Tehran, vol. 2, p. 211.
51 Narrative of a Journey into Khorasân, p. 501. Version française: Fraser, Voyage au Khorasan
(1821-1822), p. 252.
52 Narrative of a Journey into Khorasân, p. 515.
53 Travels into Bokhara, vol. 2, p. 81.
VOIR MASHHAD AU XIXE SIÈCLE
est permis d’en rencontrer parmi les chrétiens eux-mêmes.»54 En 1885, A. C.
Yate notait que tout chrétien «résidant ici doit marcher avec prudence»,55 mais
en 1889, Curzon concluait que «l’hostilité fanatique à l’égard des Européens
et des chrétiens, pour laquelle – dit-on – Mashhad s’est toujours distinguée,
semble avoir complètement disparu.»56
Les témoignages des voyageurs européens ont d’autres limites. En mission
diplomatique ou militaire, les auteurs n’étaient amenés à côtoyer qu’une
certaine société de la ville: les officiels, princes, ministres, militaires, mollâ.
Hormis l’élite cultivée, et quelques rencontres parfois truculentes – Fraser
avec un soufi,57 Conolly avec une forme d’escroc alchimiste58 –, ils n’avaient
guère ou que peu de contacts approfondis avec le reste de la population. Les
voyageurs ont aussi vu la ville et sa culture au travers de certaines idées
occidentales alors en vogue, et qui, sous la plume de tel auteur, se colorent
de préjugés rationalistes, anticléricaux, progressistes ou ethnocentriques. Les
jugements de Fraser (texte [101]) ou de Khanikoff (texte [102]) sur l’astronomie
à Mashhad sont empreints du scientisme et du rationalisme de leur temps,
quelle que soit par ailleurs la justesse de leurs remarques sur l’état du savoir
scientifique en Perse à cette époque et à Mashhad. Si les auteurs ont évoqué
l’activité des madrasa et des mollâ (textes [101], [104], [105]), aucun ne s’est
intéressé aux riches courants philosophiques du Khorâsân de l’époque.59 C’est
aussi de l’extérieur qu’ils ont perçu le vécu religieux musulman, sans explorer
les dynamiques et les significations spirituelles profondes du pèlerinage,
bien que Conolly (textes [114]-[117]) ou C. E. Yate (texte [118]) aient été
impressionnés par les cérémonies chiites.
Ici ou là percent aussi des préjugés esthétiques (néoclassique, romantique)
propres aux Européens de l’époque, quoique certains jugements puissent
Voyages et aventures en Perse, tome 1, p. 228.
Travels with the Afghan Boundary Commission, p. 365.
Persia and the Persian Question, vol. 1, p. 175. À l’heure de la publication de ce livre, l’accès
au sanctuaire de l’Imam, et en particulier à la salle contenant la tombe, est toujours fermé aux nonmusulmans. Les groupes de touristes, rapidement repérés comme «non-musulmans» (l’embarras
avec lequel les femmes manient le tchador, obligatoire, en témoigne le plus visiblement), sont pris
en charge par des servants du mausolée, responsables des affaires internationales, pour une visite très
encadrée qui ne pénètre jamais à l’intérieur du mausolée. Toutefois, les visiteurs individuels peuvent
entrer sans difficulté dans le périmètre sacré, car les gardiens aux entrées du sanctuaire procèdent à
une fouille rapide de sécurité mais ne demandent jamais la confession des visiteurs.
57 Narrative of a Journey into Khorasân, p. 491-492.
58 Journey to the North of India, vol. 1, p. 255-259.
59 Henry Corbin, Histoire de la philosophie islamique, Paris: Gallimard, 1986, p. 489-495.
54
55
56
25
26
MASHHAD DANS LE MIROIR
DES VOYAGEURS OCCIDENTAUX
s’expliquer par l’état alors délabré de certains monuments (textes [31], [49]).60
Fraser admire la qualité de l’architecture,61 mais Truilhier ne voit rien de
remarquable dans le sanctuaire et trouve «la décoration intérieure [est] moins
belle que celle des mosquées d’Ispahan».62 Tout imprégné de romantisme
et de ruines antiques, O’Donovan, bien qu’admirant le mausolée dans les
derniers feux du jour, regrette que la lune ne parvienne pas à conférer du
charme au sanctuaire plongé dans la nuit: «Ici, il y a nul Parthénon ou temple
de Jupiter ruinés pour orner la nuit.»63 Baker admire les tapis de Mashhad,
mais ne trouve aucun goût dans l’ornementation (verrière, peinture) des
habitations persanes.64 Les descriptions relatives à la cuisine, à l’hygiène, au
mode de vie, sont aussi marquées par le goût européen, même si les auteurs
ont le plus souvent témoigné d’une sympathie évidente pour leurs hôtes et la
culture iranienne. Plus profondément, ou plus subtilement, les appréciations,
voire les jugements de valeur sur la psychologie ou la culture des Iraniens
se situent à l’intersection de la subjectivité, des circonstances rencontrées et
d’un essai d’objectivation et d’objectivité. Ce sont là les limites humaines
inévitables d’une rencontre avec l’Autre, et le récit de cette rencontre n’est
jamais qu’une fenêtre donnant à voir tel paysage, sous telle lumière, dans une
direction donnée et à l’intérieur d’un cadre précis.
On dira aussi que les voyageurs n’ont vu que ce qu’ils pouvaient voir, ce
qu’ils connaissaient et étaient prêts à voir, et ils n’ont partagé qu’un moment
dans l’existence de leurs interlocuteurs et de la ville. C’est là le lot de tout récit
de voyage, où les choses vues, les événements racontés, sont plus ou moins
filtrés par la biographie et l’idiosyncrasie de l’observateur, par le contexte
des événements, par la méthode d’enregistrement des faits (journal quotidien,
notes éparses, croquis, mémorisation), et par la démarche littéraire (style,
processus narratif, organisation du matériau). Néanmoins, leurs descriptions
de la ville et de ses activités fournissent des informations précieuses, souvent
circonstanciées et détaillées, également évocatrices et stimulantes pour qui
veut prêter un peu de chair aux traces matérielles de l’ancienne Mashhad. Ce
fut toujours un privilège de l’«étranger» de témoigner de choses que les natifs
Jennifer Scarce, «Persian Art through the Eyes of Nineteenth-Century British Travellers», in
British Society for Middle Eastern Studies, VIII, 1, 1981, p. 38-50.
61 Narrative of a Journey into Khorasân, p. 445-447.
62 Mémoire descriptif de la route de Téhran à Meched, p. 60.
63 The Merv Oasis, vol. 1, p. 495-496.
64 Clouds in the East, p. 185.
60
À LA RECHERCHE DE L’ANCIENNE MASHHAD
et les autochtones d’une ville ou d’un pays, par culture ou tempérament, ne
racontaient pas ou, par habitude ou tournure d’esprit, ne percevaient pas avec
la même distanciation ou la même acuité. Les témoignages des voyageurs
européens sont aussi le fruit d’une imprégnation, et non l’écho journalistique
d’un survol ou d’un coup d’œil: séjournant à Mashhad des semaines, ou des
mois, parfois des années, ils ont pu ressentir et vivre la pulsation et l’espace
d’une ville que nous ne pouvons guère sentir aujourd’hui, tant en raison des
changements urbains que des mutations de nos perceptions.
Ce livre, de fait, ne saurait présenter Mashhad telle qu’elle fut, encore
moins telle qu’elle est. Pas plus que les monuments subsistants, les bribes
du passé ne sauraient retracer la complexité de la vie et l’arc-en-ciel humain
d’une cité millénaire. Du moins trouvera-t-on ici l’un des matériaux premiers
de l’historien, les fragments de vie qui ont contribué à façonner l’histoire de
Mashhad, le visage contemporain de la ville, et l’imaginaire que nous pouvons
avoir de la cité de l’Imam Rezâ.
À la recherche de l’ancienne Mashhad
Une première petite partie de ce livre réunit, par ordre chronologique,
les écrits de voyageurs antérieurs à 1800. Elle inclut, pour leur importance,
deux textes d’auteurs musulmans, Ibn Battuta et ‘Abd al-Karîm Kashmîrî.
Une seconde partie, beaucoup plus importante, réunit, classés par thèmes, des
textes des voyageurs européens entre 1807 et 1907. Sauf indication contraire,
les textes ont été traduits par mes soins.
Les illustrations qui émaillent cette anthologie proviennent soit des images
(photographies ou dessins) publiées par les voyageurs dans leurs ouvrages,
soit des archives photographiques de la bibliothèque du palais du Golestân à
Téhéran ou de la fondation du mausolée de l’Imam Rezâ à Mashhad (Âstân-e
Qods-e Razavî). Contrepoints visuels, elles aimeraient rendre compte des
premières visions photographiques du sanctuaire et témoigner de monuments
qui, au long du XXe siècle, ont subi des transformations et des altérations
parfois radicales. La photographie fut tôt pratiquée en Iran: le Français Jules
Richard (1816-1891) introduisit le premier daguerréotype en 1844, l’Italien
Luigi Pesce (1818-1891) réunit en album (1862) la première documentation
photographique de l’Iran, alors que l’arméno-iranien Antoin Sevruguin (18301933), à partir des années 1870, documenta abondamment l’Iran, monuments
ou personnes, reconstituant également des scènes «orientalisantes» dans son
studio de Téhéran. Le roi qâdjâr Nâser al-Dîn Shâh (règne 1848-1896) lui-
27
72
MASHHAD DANS LE MIROIR
DES VOYAGEURS OCCIDENTAUX
des douanes persanes, ils ont construit une route qui contourne les remparts
et conduit les voyageurs à la porte même des bâtiments où sont perçus
les droits. Le quartier où se trouvent les entrepôts de cette importante
administration a été depuis quelques années complètement modifié; plus de
ces ruelles tortueuses, plus de ces masures en terre agglomérées les unes
contre les autres; le pittoresque en a certes beaucoup souffert, mais on y a
gagné d’avoir de grandes voies, larges et d’accès facile. Dans les terrains
en bordure, on s’occupe maintenant de créer des maisons et des entrepôts
répondant aux besoins actuels.181
Dans un livre publié en 1910, Ella Sykes, sœur de P. M. Sykes, parle d’une
septième porte de la ville, érigée par les Russes, et dont la construction causa
des remous parmi les croyants.182 Ces changements dans la ville annonçaient la
modernisation de l’urbanisme, entreprise sous le règne de Rezâ Shâh Pahlavî, et
qui, dès les années 1930, allait toucher tous les grands centres urbains du pays.183
Le mausolée de l’Imam Rezâ
L’extérieur du sanctuaire
Si le mausolée domine la ville vue de loin, c’est aux extrémités des deux
avenues qu’il est le plus visible, écrit O’Donovan (1880): «En s’approchant,
les arbres, les maisons, et de massifs portails donnant accès à la grande cour
dans laquelle se trouve l’édifice, ferment complètement la vue.»184 Burnes
(1832) écrit que le pèlerin voulant accéder au sanctuaire doit d’abord passer
par le bazar et franchir une chaîne185: «Une chaîne, tendue à travers les rues,
dans les limites d’une centaine de yards [30m] du sanctuaire, ceinture son
bazar et les richesses de Mashhad, et empêche le bétail et les animaux d’entrer
dans le lieu saint.»186 Bassett (1878) note qu’en marchant d’ouest en est vers
le sanctuaire, en empruntant l’avenue, on est arrêté par un arc de brique, où
de l’incurie et de la désorganisation, pillé également par les puissances occidentales (Annette
Destrée, «Belgian-Iranian Relations», in Encyclopædia Iranica, vol. IV, 1990, p. 124-126).
181 Ibid., p. 78.
182 Persia and its People, p. 90-91.
183
Eckart Ehlers / Willem Floor, «Urban Change in Iran, 1920-1941», in Iranian Studies, 26,
3/4, 1993, p. 251-275.
184 The Merv Oasis, vol. 1, p. 488.
185 Travels into Bokhara, vol. 2, p. 81-82.
186 Ibid., vol. 2, p. 80.
LE MAUSOLÉE DE L’IMAM REZÂ
des gardes sont stationnés. L’espace entre cet arc extérieur et le mur de la cour
(sahn) est appelé bast, un terme qui désigne l’endroit à partir duquel asile est
donné187: «toutes sortes de délinquants, à l’exception des apostats de l’islam,
sont en sécurité de toute arrestation ou vengeance du sang, une fois qu’ils ont
passé cette barrière extérieure.»188
Ainsi clôturé, l’ensemble du sanctuaire forme un asile, inviolable même par
le roi, et dans lequel un criminel peut se réfugier sans être inquiété.189 Bassett
ajoute même que «des chrétiens, des juifs et des guèbres [des zoroastriens]
sont autorisés à trouver refuge»190 là où, en des circonstances ordinaires, un
non-musulman ne saurait pénétrer, bien que Curzon (1889) ait entendu des
propos contraires.191 En 1907, Henry-René d’Allemagne note toutefois qu’il
«n’est pas toujours aisé de savoir si l’on se trouve dans l’enceinte sacrée ou
non, car les chaînes ne sont fixées qu’aux deux portes principales; pour tout
le dédale de ruelles reliées avec les autres quartiers de la ville, il n’y a pas de
distinction, […].»192 Ce sera avec la construction en 1929-1933 d’une route
circulaire entourant le complexe sacré, le Falaka, que le complexe sacré sera
nettement délimité et isolé au sein de la ville (fig. 21). Le Falaka sera agrandi
au milieu des années 1970, sous le règne de Mohammad-Rezâ Pahlavî, afin
de ceinturer le sanctuaire d’une large bande de pelouse. Après la Révolution
islamique, dans les années 1980, l’espace vide du Falaka fut recouvert par la
construction de nouvelles cours: les limites extérieures du sanctuaire furent
marquées par des portiques sécurisés et l’on construisit une route en anneau
souterraine, qui connecte les quatre avenues partant en croix du sanctuaire.193
Les voyageurs ont généralement été sensibles à la beauté du sanctuaire.
Depuis le Pâ’în khîâbân, MacGregor (1875) admire le contraste formé par la
J. Calmard, «Bast», in Encyclopædia Iranica, vol. III, 1989, p. 856-858. Sur les
bast dans le sanctuaire de l’Imam Rezâ, on verra (en persan) Goruh-e Dâ’eratolma’âref,
Dâ’eratolma’âref-e Âstân-e Qods-e Razavî [Encyclopédie d’Âstân-e Qods-e Razavî], vol. 1,
Mashhad: Bonîâd-e pajuheshâ-ye eslâmî-ye Âstân-e Qods-e Razavî, 1393S/2015, p. 204-212.
188 Persia. The Land of the Imams, p. 223-224.
189 Voir plus loin p. 156 et texte [89].
190 Persia. The Land of the Imams, p. 229.
191
Persia and the Persian Question, vol. 1, p. 155. La pratique du bast comme espace de
refuge disparut peu à peu au cours du XXe siècle, sous les Pahlavi: le sanctuaire de Mashhad
compte toujours plusieurs bast (anciens ou récents), mais qui n’ont aucune fonction d’asile.
192 Du Khorassan au pays des Backhtiaris, tome III, p. 86.
193 Patrick Ringgenberg, Le sanctuaire de l’Imam Rezâ à Mashhad, Téhéran / Londres: Candle
& Fog, 2016, p. 35-37.
187
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74
MASHHAD DANS LE MIROIR
DES VOYAGEURS OCCIDENTAUX
21- Vue aérienne, prise à l’époque de Mohammad-Rezâ Pahlavi (années 1950-1970),
de la première route circulaire (Falaka) construite par Rezâ Shâh Pahlavi en 1929-1933 autour du
sanctuaire. Le Falaka reliait entre elles quatre avenues rayonnant en croix depuis le complexe sacré.
Deux d’entre elles sont historiques (fig. 18): le Bâlâ khîâbân (aujourd’hui l’avenue Shîrâzî, qui conduit au bast
Sheikh Tusî dans l’enceinte du sanctuaire), à gauche sur l’image, et le Pâ’în khîâbân (aujourd’hui l’avenue Navâb
Safavî, qui conduit au bast Sheikh Hur ‘Âmelî dans l’enceinte du sanctuaire), à droite sur l’image.
Avec la construction du Falaka et la modernisation de l’urbanisme, deux autres avenues ont vu le jour:
l’avenue Tabarsî au nord-est (au haut de l’image) et l’avenue Emâm Rezâ au sud-ouest (au bas de l’image).
Archives Âstân-e Qods-e Razavî.
LE MAUSOLÉE DE L’IMAM REZÂ
couleur terre des maisons, le vert foncé des arbres, les minarets et le dôme d’or,
et le dôme bleu de la mosquée Gowhar Shâd.194 Conolly a rapporté les propos
d’une connaissance musulmane, qui admirait le dôme doré du sanctuaire dans
le soleil couchant (fig. 79, 91):
[29] «Vous ne regardez pas ce dôme comme moi, Sahib,195 dit-il, mais je
vous jure que sa vue rafraîchit le cœur: vous admirez cela, mais si vous aviez
vu le Noorbaran Agha! le Noorbaran!» Le «Noorbaran [nurbârân]», ou «pluie
de lumière», est une pluie qui tombe au printemps quand le soleil, perçant à
travers de légers nuages, fait briller comme des diamants les grosses gouttes
qui se déversent: les Iraniens disent qu’elle tombe le plus souvent sur les lieux
saints, et ils lèvent leurs paumes pour attraper des gouttes et humidifier leurs
barbes avec elles. Regarder, lorsque le soleil l’illumine, le dôme doré à travers
une averse étincelante: ce peuple poétiquement superstitieux est frappé par
cet effet redoublé, et s’exclame en louanges à la vue de ce qu’il juge être une
marque de faveur spéciale du Ciel à l’égard de son saint.196
De tous les espaces du sanctuaire, c’est l’ancienne cour (sahn-e ‘Atiq /
sahn-e Kohneh, aujourd’hui sahn-e Enqelâb: fig. 22, 23, 79), construite sous
Shâh ‘Abbâs Ier en 1612, qui a été naturellement la plus décrite, car elle
constituait alors, et en partie encore aujourd’hui, l’accès principal au mausolée.
Après avoir évoqué son architecture générale et son décor de mosaïque de
céramique émaillée, Fraser écrit de cette cour appelée «le Sahn» («la Cour»):
[30] Elle est pavée de pierres tombales qui ne sont pas toujours très unies
sous le pied. Elles protègent les restes des plus nobles Persans dont les corps
y ont été apportés de toutes les parties du pays, pour reposer sous l’heureuse
influence de leur saint favori.197 Au centre, il y a un bâtiment nommé SekaKhaneh [saqqâ-khâneh] ou la maison de l’eau, richement orné de dorures, et
entouré de petits aqueducs qu’alimente l’eau sale du canal qui traverse la rue
Narrative of a Journey Through the Province of Khorassan, vol. 1, p. 283.
Sahib: monsieur, maître, seigneur.
Journey to the North of India, vol. 1, p. 263-264.
En Islam, avec le développement des mausolées dédiés aux soufis (fig. 123) et aux
Imams chiites et à leurs descendants (les imâmzâdeh), les personnages importants, ou les pieux
musulmans qui le peuvent, aiment se faire enterrer à proximité d’un saint, pour bénéficier de sa
bénédiction spirituelle et de son intercession lors du Jugement dernier. Voir aussi p. 136-137 à
propos du cimetière de Qatlgâh.
194
195
196
197
75
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MASHHAD DANS LE MIROIR
DES VOYAGEURS OCCIDENTAUX
principale [fig. 25]. Ces aqueducs sont destinés aux ablutions.198
Il note également que le dôme doré (fig. 24), coiffant la tombe de l’Imam,
était en restauration, bien que les réparations fussent alors limitées au
remplacement de carreaux dorés tombés ou disjoints.199 Lors de son passage
dans la ville en 1833, Fraser dressa un portrait sombre de l’état de délabrement
des édifices dont il avait admiré, quelque onze ans auparavant, la beauté et la
munificence.200 Cette dégradation se voyait d’ailleurs dans tous les édifices
publics,201 dit-il, et non seulement dans l’ancienne cour dont la «beauté était
partie», la «gloire disparue»:
[31] Les dorures étaient ternies ou tachées; les carreaux, en de nombreux
endroits, étaient tombés, laissant des trous argileux au milieu du riche
revêtement d’or. Les magnifiques carreaux émaillés et vernissés, ressemblant
à d’éclatantes mosaïques, et appelés ici câshee [kâshî], avaient déteint
ou s’étaient détériorés, et en beaucoup d’endroits ils se décollaient du mur
sur une grande échelle, laissant voir les briques et la terre. Tout l’éclat et la
brillance qui autrefois faisaient ressembler le lieu à un bijou fraîchement sorti
de la main de son auteur, s’étaient évanouis, ne laissant derrière qu’une ruine
rafistolée à l’apparence misérable. Le beau minaret d’azur et d’or érigé par
Shah Ismael [Shâh Ismâ‘îl Ier] avait été si ébranlé ou endommagé que par
peur qu’il ne s’écroule, ils l’avaient abattu; et les splendides inscriptions aux
lettres d’azur sur le tambour du dôme d’or [fig. 24] s’étaient transformées
en gris poussiéreux. Les magnifiques portails aux deux extrémités du Sahn
avaient souffert d’une dégradation correspondante. Les carreaux se décollaient
partout, et la fraîcheur de leurs couleurs était bien ternie. Même l’exquis
succah-khaneh [saqqâ-khâneh: fig. 25] ou maison de l’eau, au centre de la
cour, construit avec une sorte de travail de filigrane dans du bois doré, tombait
en morceaux et toute sa dorure avait disparu.202
Les auteurs postérieurs n’ajouteront guère de détails significatifs, se
198 Narrative of a Journey into Khorasân, p. 445. Version française: Fraser, Voyage au Khorasan
(1821-1822), p. 215. Les tombes ont disparu, tout comme le canal qui traversait la cour dans un axe
nord-ouest / sud-est; seule demeure aujourd’hui, bien que remaniée et restaurée, la fontaine (fig. 25).
199 Narrative of a Journey into Khorasân, p. 454.
200 Ibid., p. 445.
201 A Winter’s Journey from Constantinople to Tehran, vol. 2, p. 212.
202 Ibid., vol. 2, p. 211-212.
77
22- L’iwan d’or dans l’ancienne cour (aujourd’hui sahn-e Enqelâb) et le dôme doré de la tombe de l’Imam, à
l’époque qâdjâre (fig. 1, 79). Palais du Golestân, Téhéran.
23- L’iwan nord-ouest de l’ancienne cour (aujourd’hui sahn-e Enqelâb)
à l’époque qâdjâre (fig. 94). Palais du Golestân, Téhéran.
78
MASHHAD DANS LE MIROIR
DES VOYAGEURS OCCIDENTAUX
24- Le dôme (ici à l’époque qâdjâre) qui coiffe la chambre
funéraire de l’Imam Rezâ fut construit à l’époque
mongole sous le règne de Ghâzân Khân (1295-1303),
ou peut-être même plus tôt encore, à la fin de l’époque
seldjoukide (XIIe siècle). Le dôme fut d’abord paré de
céramique émaillée, mais en 1526 le Safavide Shâh
Tahmâsb Ier fit remplacer ce décor par un revêtement d’or,
plusieurs fois restauré ou refait au cours des siècles.
Palais du Golestân, Téhéran.
25- La fontaine de l’ancienne cour à l’époque qâdjâre.
Archives Âstân-e Qods-e Razavî.
contentant de descriptions et d’appréciations générales. Ferrier (1845) note
que les pèlerins logent gratuitement dans les chambres autour de la cour.203
Ancien consul britannique, Edward Ledwich Mitford (1811-1912), à peu
près à la même époque, regrette l’état de délabrement d’édifices pourtant
splendides; il mentionne également les échoppes nombreuses à l’intérieur de
l’enceinte sacrée, où, côtoyant des vendeurs de fruits, de « savon sacré de
Kerbala » et de camelotte aussi abondante qu’à Paris, des artisans s’affairent
à tailler des turquoises et autres pierres, transformant le lieu en une sorte de
foire.204 Khanikoff a brièvement mentionné le contenu épigraphique du décor
de la cour:
[32] Une inscription qui fait le tour de la coupole élevée au-dessus du
tombeau de l’imam [fig. 24], dit que ce dôme a pu être achevé par la munificence
de chah Abbas; mais la date de sa construction est effacée. Le haut de l’aivan
[iwan] doré est orné d’une inscription qui rapporte son achèvement au règne
de chah Hussein, en l’année 1085; les vers qui occupent le milieu de cet aivan
nous informent que Nadir-Chah l’a fait dorer en 1145 [1732-33], avec de l’or
203
204
Voyages et aventures en Perse, tome 1, p. 239.
A Land March from England to Ceylon Forty Years Ago, vol. II, p. 44-45.
LE MAUSOLÉE DE L’IMAM REZÂ
enlevé par lui «aux Indes, au Kaisar et au Khakan.» Les aivans oriental et
occidental du Sehn [Sahn] ne portent que des inscriptions religieuses, et celles
de l’aivan méridional disent que cette porte a été construite par ordre de chah
Abbas II, en 1059 [1649]; enfin le bas de tous ces aivans fut orné, en 1262
[1845-46], d’inscriptions qui reproduisent en briques émaillées différents
chapitres du koran.205
Eastwick (1862) fut emmené par son hôte persan, le «Mashiru ‘d daulah»
(le Moshîr od-dowleh : le «conseiller du Gouvernement»), au premier étage
de la cour, un jeudi soir – non sans que l’auteur ne s’en inquiète. La cour, ditil, avait été magnifiquement illuminée, et il estime à pas moins de 7’000 ou
8’000 le nombre de fidèles présents.206 Sa description de la cour est générale,
et l’auteur narre surtout le danger de venir en infidèle dans le site.207 Bassett
(1878) a donné la valeur de l’or employé dans les carreaux des iwans dorés:
environ sept tomans pour ceux de l’iwan de Nâder dans l’ancienne cour,
environ trois tomans pour ceux de l’iwan de la nouvelle cour.208 O’Donovan
(1880) a longuement consigné ses observations et appréciations sur les
portails d’entrée, leur forme et leur décor, comparant tel ou tel élément à des
monuments vus ailleurs.209 Il est frappé par le millier et plus de pèlerins se
prosternant dans la cour, chiites et sunnites210 mêlés: «Je n’ai jamais vu autant
de personnes assemblées avec aussi peu de bruit.»211 Curzon (1889) a surtout
résumé les informations livrées par les voyageurs précédents.212 Massy (1893)
note à propos des tombes de la cour que chaque corps y est enterré pour une
période de trente-deux ans, après quoi un autre corps peut être placé dans la
même tombe.213 Dans son livre de 1910, Sykes note que les hauts personnages
officiels du sanctuaire occupent les chambres du premier étage de la cour; les
Mémoire sur la partie méridionale de l’Asie centrale, p. 103.
Journal of a Diplomate’s Three Years Residence in Persia, vol. 2, p. 224-225.
Ibid., vol. 2, p. 224-229.
Persia. The Land of the Imams, p. 224.
The Merv Oasis, vol. 1, p. 492-494.
Bien que seuls les chiites vénèrent l’Imam Rezâ comme le VIIIe Imam, ce dernier peut tout
à fait être vénéré par des sunnites comme un saint personnage, puisqu’il est un descendant de ‘Alî,
premier Imam des chiites mais aussi quatrième des quatre califes des sunnites: d’où, et encore
aujourd’hui, la présence de pèlerins sunnites dans le mausolée de Mashhad (voir texte [68]).
211 Ibid., vol. 1, p. 494.
212 Persia and the Persian Question, vol. 1, p. 156-157.
213 «An Englishman in the Shrine of Imám Reza at Mashad», p. 996-997.
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MASHHAD DANS LE MIROIR
DES VOYAGEURS OCCIDENTAUX
chambres du rez-de-chaussée, dont certaines ont été transformées en tombes,
sont occupées par le charpentier, l’orfèvre, et les personnes restaurant les
corans.214 Mentionnée par presque tous les voyageurs, la fontaine de Nâder
(fig. 25) est décrite plus en détails par Sykes: elle consiste, dit-il, en un «seul
bloc de marbre blanc admirablement décorée de fleurs ciselées». De forme
octogonale, il est haut de trois pieds (91cm) et sa circonférence est de dix-huit
pieds (5,5m). Le sommet est creux et des tasses en cuivre sont suspendues
pour boire. Il est dit que Nâder vit cette pierre à Herat (Afghanistan), et qu’il
accepta de payer une forte somme pour son transport en douze jours.215
La beauté de la mosquée Gowhar Shâd, construite en 1418 selon le plan dit
persan apparu sous les Seldjoukides au XIIe siècle (une cour quadrangulaire
bordée de quatre iwans et d’une grande salle à coupole), fut louée par tous les
voyageurs qui l’ont vue, à commencer par Fraser.216 Ce dernier, outre l’allure
générale de l’édifice, évoque surtout les mollâ et les fidèles, priant dans les
espaces latéraux de l’iwan maqsura (fig. 83) et de l’iwan opposé (fig. 85), au
nord-est.217 Burnes (1832) admira le mur qibla (fig. 84) et les « hauts minarets
bleus ».218 Khanikoff a relevé des inscriptions:
[33] Au-dessus de la façade principale de ce temple, on lit qu’il a été
élevé à l’époque du règne de Chah Roukh [Shâh Rukh], fils de Timour
Gourekan [Tamerlan], en 821 de l’hégire [1418]. Sur le bord oriental du
mur de face on a tracé un hadis [hadith] du prophète: «Le croyant est dans la
mosquée comme le poisson dans l’eau;» à hauteur égale du sol, on lit sur le
côté occidental du même mur cet autre hadis: «L’athée est dans la mosquée
comme un aigle dans sa cage.» L’aivan [iwan] méridional de cette mosquée
a été reconstruit par chah Hussein en 1087 [1676-77]; des vers placés au bas
de cet aivan nous informent qu’un tremblement de terre «fit une blessure à
cette mosquée», et que «le chah ordonna de la panser en 1088». La différence
entre les dates du haut et celles du bas du même mur ne doit pas surprendre,
car la beauté et la variété des ornements dont il est recouvert témoignent
The Glory of the Shia World, p. 244.
Ibid., p. 247.
Sur cette mosquée, voir bibliographie I.4., et en particulier Bernard O’Kane, Timurid
Architecture in Khurasan, Costa Mesa: Mazdâ Publishers, 1987, p. 119-130 et Ganjnameh.
Cyclopaedia of Iranian Islamic Architecture. Volume 6: Mosques, Tehran: Shahid Beheshti
University / Rowzaneh, 1383S/2004, p. 64-75.
217 Narrative of a Journey into Khorasân, p. 447.
218 Travels into Bokhara, vol. 2, p. 83.
214
215
216
LE MAUSOLÉE DE L’IMAM REZÂ
assez qu’il n’a pu être achevé en un an.219
En 1875, MacGregor a observé la mosquée au télescope, à une distance
d’environ 800 yards (731m), et noté que la couverture de céramique du dôme
est faite d’un matériau très grossier, à la différence du beau décor des minarets.220
Cinq ans plus tard, O’Donovan écrit que le dôme bulbeux de la mosquée est
couvert de briques émaillées en bleu, mais des trous se sont formés sur les
côtés, dans lesquels poussent des ronces.221 Sykes a évoqué la «Mosquée de la
Vieille Femme»,222 une structure autrefois au centre de la cour de la mosquée
et disparue depuis. Il a également rapporté une légende sur la chaire (minbar)
de la mosquée (fig. 84):
[34] Dans l’Aiwan-i-Maksura [iwan maqsura], au-dessus duquel s’élève
le superbe dôme bleu, se trouve une chaire sculptée de façon exquise dans le
bois. Elle est d’une sacralité particulière, puisque lorsque surviendra le Jour
du Jugement, le douzième Imam descendra sur elle.223
Quant à la nouvelle cour (sahn-e Now / sahn-e Djadîd, aujourd’hui sahn-e
Âzâdî), construite dès 1817-18 sous le règne du Qâdjâr Fath ‘Alî Shâh, et
décorée de céramiques émaillées deux ou trois décennies plus tard, les auteurs
en ont très peu parlé (fig. 26-27, 80). Fraser, en 1822, évoque ainsi cette cour
à quatre iwans, qui reprend, à une échelle plus modeste, le modèle de la cour
principale (aujourd’hui sahn-e Enqelâb, autrefois appelée le «Sahn»), avec
quatre iwans et deux étages d’arcades et de pièces:
[35] Le roi actuel [Fath ‘Alî Shâh] construit au sud du Sahn une autre place,
également entourée d’une rangée de pièces sur deux étages, mais à une échelle
de magnificence moindre que les autres, si tant est que l’on puisse former un
jugement quelconque d’après son apparence actuelle. La construction, pourtant,
se fait très lentement, et il semble douteux qu’elle soit jamais achevée.224
Mémoire sur la partie méridionale de l’Asie centrale, p. 103-104.
Narrative of a Journey Through the Province of Khorassan, vol. 1, p. 282.
The Merv Oasis, vol. 1, p. 497.
The Glory of the Shia World, p. 261-262. Voir plus loin p. 100.
Ibid., p. 266. Disparu mystérieusement dans sa jeunesse, puis occulté en 941, le douzième
Imam ou Imam Mahdî reviendra à la fin des temps selon les croyances eschatologiques chiites.
224 Narrative of a Journey into Khorasân, p. 448.
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MASHHAD DANS LE MIROIR
DES VOYAGEURS OCCIDENTAUX
26- L’iwan nord-est de la nouvelle cour (aujourd’hui sahn-e Âzâdî)
à l’époque qâdjâre. Palais du Golestân, Téhéran.
27- L’iwan nord-ouest de la nouvelle cour (aujourd’hui sahn-e Âzâdî), à l’époque qâdjâre.
Il donne accès, via plusieurs rewâq (notamment le gonbad Hâtem Khânî: fig. 90), à la chambre
funéraire. En 1865, son décor de céramique émaillée fut remplacé par un décor d’or,
à l’imitation de l’iwan d’or de l’ancienne cour ou sahn-e Enqelâb (fig. 1, 79).
«Dessin de A. de Bar d’après une photographie de l’album de M. de Khanikof», publié dans
«Méched, la ville sainte, et son territoire» du prince Nicolas de Khanikoff, en 1861. On verra la
source photographique de ce dessin dans Patrick Ringgenberg, Le sanctuaire de l’Imam Rezâ à
Mashhad, Téhéran / Londres: Candle & Fog, 2016, p. 303, fig. 436.
LE MAUSOLÉE DE L’IMAM REZÂ
Lors de son deuxième séjour, en 1833, il a certainement évoqué cette même
cour:
[36] Le collège commencé par le roi actuel, dans l’un de ses moments
plus pieux et moins avare, a été abandonné, pour ce qui concerne le roi,
dans l’état où je la vis [texte [35] ]; mais le temps et le climat ont été bien
plus actifs et ont fait de malheureuses brèches et donné une apparence
désespérée proche de la démolition complète.225
Plus de quarante ans plus tard, Bassett (1878) mentionne simplement
l’existence d’une nouvelle cour, construite aux frais de Azid al Mulk.225b
L’intérieur du sanctuaire
C’est naturellement à Fraser que nous devons la première description
générale de l’intérieur, de la chambre funéraire et des rewâq (portiques ou
salles) qui l’entourent.226 Les rewâq sont des salles ou des portiques, voûtés ou
à coupole, construits autour de la salle funéraire et formant des accès couverts
à celle-ci. On en compte plus d’une vingtaine dans le sanctuaire de l’Imam
Rezâ, construits entre le XVe siècle (fig. 87, 88) et le début du XXIe siècle.
Parfois ornés de céramiques émaillées (fig. 89-90), une technique ornementale
développée en Iran à partir de l’époque sedjoukide (fin du XIe siècle),227 ils sont
généralement tapissés de mosaïques de miroirs,228 un art apparu à l’époque
safavide déjà, mais qui fut particulièrement prisé à l’époque qâdjâre (XIXe
siècle) pour le décor des palais et – jusqu’à nos jours – des mausolées chiites
(les imâmzâdeh).
[37] Une porte d’argent, donnée par Nadir Shah, laisse entrer le dévot dans
un passage conduisant à la pièce centrale et principale, en dessous du dôme
doré [fig. 24]. Elle est d’une dimension majestueuse: son importante élévation
se termine en une belle coupole, comme la nef centrale d’une cathédrale, alors
qu’elle s’épanouit en-dessous en forme de croix [fig. 29, 74]. L’ensemble
225 A Winter’s Journey from Constantinople to Tehran, vol. 2, p. 212.
225 b Persia. The Land of the Imams, p. 224.
226
Pour une description de la chambre funéraire et des rewâq, voir Patrick Ringgenberg, Le
sanctuaire de l’Imam Rezâ à Mashhad, Téhéran / Londres: Candle & Fog, 2016, p. 77-167.
Yves Porter / Gérard Degeorge, L’art de la céramique dans l’architecture musulmane, Paris:
Flammarion, 2001.
228 Eleanor G. Sims, «Âîna-kârî», in Encyclopædia Iranica, vol. I, 1985, p. 692-694.
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28- Plan du sanctuaire à l’époque
qâdjâre, reproduit par Sir Percy
Molesworth Sykes, The Glory of the
Shia World, 1910, d’après un plan
paru dans le Matla‘ al-Shams de
Sanî‘ al-Dawla (1884-1886).
En pointillé, l’auteur a marqué le
trajet usuel des pèlerins, accédant
par le bast de Bâlâ khîâbân
(aujourd’hui le bast Sheikh Tusî)
à la cour principale (le «Sahn»,
aujourd’hui sahn-e Enqelâb: fig.
79), puis entrant par l’iwan d’or (fig.
92) dans le rewâq Dâr os-Sîâdah
(fig. 88), et de là dans le rewâq Dâr
ol-Hoffâz (fig. 87), lequel offre
un accès direct à
la chambre funéraire (fig. 81).
⓫
Le tombeau et les rewâq
❶ La chambre funéraire (fig. 29,
30, 81).
❷ La mosquée Bâlâ Sar.
❸ Rewâq Dâr os-Sîâdah (fig. 88).
❹ Rewâq Dâr ol-Hoffâz (fig. 87).
❺ Rewâq Towhîd Khâneh.
❻ Gonbad Hâtem Khânî (fig. 90).
❼ Gonbad Allâhverdî Khân (fig. 89).
❽ Rewâq Dâr os-Sa‘âdah.
Les cours
❾ L’ancienne cour ou le «Sahn»
(sahn-e ‘Atîq / sahn-e Kohneh /
sahn-e Enqelâb) (fig. 1, 22, 23, 79,
92-95).
❿ La cour de la mosquée Gowhar
Shâd (fig. 33, 34, 83-86).
⓫ La nouvelle cour (sahn-e Now /
sahn-e Djadîd / sahn-e Âzâdî) (fig.
26, 27, 80).
Les madrasa
⓬ Madrasa Parîzâd.
⓭ Madrasa Bâlâ Sar.
⓮ Madrasa Do Dar (fig. 98, 99).
⓯ Madrasa Mîrzâ Dja‘far (fig. 96, 97).
⓰ Madrasa Kheyrât Khân.
Les bast
⓱ Bâlâ khîâbân
(aujourd’hui bast Sheikh Tusî).
⓲ Pâ’în khîâbân
(aujourd’hui bast Sheikh Hur ‘Âmelî).
86
MASHHAD DANS LE MIROIR
DES VOYAGEURS OCCIDENTAUX
est abondamment décoré de carreaux aux couleurs les plus riches, avec une
profusion d’azur et d’or, et aux guirlandes et motifs de fleurs du meilleur
goût, et mêlés à des textes du Coran.229 Du centre était suspendu un immense
chandelier à branches en argent massif.
Une porte dans l’arc du nord-ouest donne accès à une pièce octogonale
coiffée d’une belle coupole, et dont les murs et le sol sont aussi richement
ornés que le premier, et dont le sol est partiellement recouvert d’un beau tapis.230
Le reliquaire sacré dans lequel repose la poussière de l’Imam Rezâ et du calife
Hârun al-Rashid, le père du meurtrier de l’Imam, se trouve dans la partie sudouest de la salle: il est entouré d’une grille massive d’acier bien ouvragé [zarîh:
fig. 30], à l’intérieur de laquelle il y a une clôture incomplète en or massif (tous
deux seront évoqués par la suite) et d’autres objets scintillants, que la lumière
incertaine empêchait de voir distinctement.
Sur le côté nord-est, une porte donnant sur le mausolée, couverte d’or et
sertie de joyaux plus riches en apparence qu’en réalité, fut offerte par le roi
actuel [Fath ‘Alî Shâh]. Plusieurs plaques d’argent gravées d’inscriptions en
lettres arabes étaient suspendues sur la grille, et à côté se trouvaient beaucoup
d’autres choses brillantes et ostentatoires, mais la faible lumière religieuse, la
brièveté de ma visite, et les dangereuses circonstances dans lesquelles elle fut
faite, m’interdirent de les examiner plus en détails.
À l’opposé de la porte couverte de joyaux, une porte fermée d’un rideau
conduit à une autre pièce octogonale, mais plus petite, également coiffée d’un
dôme et ornée, quoique moins richement, avec des carreaux colorés, et dans
laquelle, d’après les informations de mon guide, les ossements de plusieurs
grands hommes reposent, mais je ne peux me souvenir de leur identité.231 Il
y a de même une pièce à l’ouest du mausolée et plusieurs autres sur le côté
opposé de la salle centrale, mais certains étaient interdits d’accès, et je passai
trop rapidement à travers les autres pour me souvenir de leur plan ou de leurs
contenus.
Depuis le porche au sud-ouest de la grande chambre centrale un large
passage conduit à travers le mausolée à la cour d’une mosquée [fig. 33, 34,
Plus tard, à la fin du XIXe siècle, la coupole fut décorée de mosaïques de miroirs (texte
[44] et fig. 81), plusieurs fois restaurées au cours du XXe siècle.
230
Il s’agit certainement du Dâr os-Sîâdah (fig. 88), vaste rewâq construit à l’époque
timouride (dans les années 1410-1420), restauré au XVIIe siècle et décoré de mosaïques de
miroirs à la fin du XIXe siècle.
231
Il s’agit sans doute du gonbad Allâhverdî Khân, un splendide mausolée à coupole de
1613, qui accueille la dépouille d’un général de Shâh ‘Abbâs Ier (fig. 89).
229
LE MAUSOLÉE DE L’IMAM REZÂ
29- La chambre funéraire, représentée sur une image persane d’époque qâdjâre,
reproduite par Percy Molesworth Sykes dans The Glory of the Shia World en 1910.
Selon une formule architecturale classique en terre d’islam depuis au moins le Xe siècle,
le mausolée de l’Imam est une salle à coupole, plusieurs fois redécorée au long des siècles,
soit de céramiques (fig. 82), soit de peintures (autrefois dans les parties hautes),
soit (comme actuellement) de mosaïques de miroirs dans la coupole (fig. 81).
L’Imam est enterré dans une crypte souterraine inaccessible, mais la salle à coupole
visitée par les pèlerins accueille une grande châsse grillagée, le zarîh (fig. 30),
plusieurs fois changé au cours du temps, et qui contient une pierre tombale.
87
88
MASHHAD DANS LE MIROIR
DES VOYAGEURS OCCIDENTAUX
83], de loin la plus belle et la plus grandiose que j’aie vue en Perse, qui doit
son origine à Gauher Shahud [Gowhar Shâd], la femme de Shah Rukh, le fils
du grand Timur.232
À l’occasion d’une autre visite, l’auteur ajouta des détails. Après être entrés
par l’iwan d’or de l’ancienne cour (sahn-e Enqelâb: fig. 1, 92),
[38] nous nous rendîmes à la haute salle centrale: j’ai rarement vu une
union plus heureuse qu’ici de la beauté et de la grandeur; il était difficile de
dire ce qui, de la grande dimension et des élégantes proportions, ou de la
richesse et de la beauté des ornements, était le plus à admirer dans cette noble
salle, vue dans une lumière tamisée et incertaine, qui voilait tout ce qui pouvait
être criard ou aveuglant [fig. 29, 81].
Après avoir regardé un moment cette salle, nous approchâmes de ce que
contient le reliquaire lui-même. S’arrêtant à son seuil, mon guide s’inclina
jusqu’à ce que sa tête touche le sol, dit une longue prière en arabe, et me fit
signe de l’imiter dans ses gestes aussi bien que dans ses paroles, ce que je
fis tout à fait, mais bien sûr sans comprendre un mot. Puis, nous entrâmes et
répétâmes des formes de prière sur chaque côté de la tombe, nous inclinant à
chaque fois très bas. Ensuite, nous examinâmes la salle et nous rendîmes dans
le reste du site.
Bien que le meerza [mîrzâ] m’avait assuré qu’il s’agissait de l’heure la
plus intime du jour, il y avait néanmoins une foule nullement insignifiante
autour de la tombe: un certain nombre de pèlerins faisait leurs dévotions au
sanctuaire et accomplissaient, sous la conduite des khadums [khâdem], les
mêmes cérémonies que j’avais moi-même accomplies. Beaucoup étaient assis
dans le coin des antichambres, lisant le Coran: et une multitude de personnages
en robe et en turban voletaient à travers les mystérieuses pièces élevées: tout
était silencieux et pareil à la mort, à l’exception du bourdonnement des prières
ou des intonations basses et mesurées de ceux qui récitaient le Coran; les sons
produisaient un effet plus frappant encore que le silence total.233
Conolly rapporte également la visite qu’il fit en compagnie d’un seyyed:
232
Narrative of a Journey into Khorasân, p. 446-447. Sur la mosquée Gowhar Shâd, voir les
textes [33] et [34].
233 Ibid., p. 472-473.
LE MAUSOLÉE DE L’IMAM REZÂ
[39] À une petite porte à gauche du portail d’or, un homme était assis
dans l’obscurité, avec plusieurs paires de mules devant lui. Le seyyed déposa
ses chaussures et avança rapidement, si bien que je dus également retirer les
miennes, pour le suivre dans ce qui est appelé le gonbad Allâh Verdi Khân,
une belle mosquée, à propos de laquelle il y a une incroyable anecdote [fig.
89].234 Nous quittâmes une pièce disposée à l’écart sur un côté pour que les
femmes puissent y prier, et pénétrâmes dans le «kishick khaneh» ou salle de
garde, où les serviteurs du sanctuaire veillent. Il n’y avait là que quelques
personnes en train de discuter, si bien qu’à l’abri des hautes portes, nous
nous assîmes et regardâmes dans la chambre adjacente, le Darul Houffaz
[Dâr ol-Hoffâz: fig. 87], de forme semi-circulaire, voûté d’un dôme, et d’une
élévation et d’une dimension importantes. De nombreuses lampes donnaient
une forte luminosité235 et l’endroit était pratiquement rempli de seyyed et de
mollâ portant des turbans ainsi que de pèlerins de nombreux pays. Certains
étaient assis le dos contre les murs, lisant ou parlant; d’autres étaient debout
et conversaient en groupes; et des amis, se rencontrant là, s’arrêtaient pour se
saluer et se souhaiter mutuellement l’acceptation de leurs vœux. Devant la
porte qui menait au mausolée, des dévots étaient assis, pleurant et frappant
leur poitrine dénudée de la manière la plus extravagante, alors que d’autres
murmuraient la formule [consacrée] avant d’entrer, et dans les coins des
docteurs assis, servants du sanctuaire, lisaient le Coran à haute voix.
C’était une scène déroutante, et je me demandais si je n’étais pas en train
de rêver, lorsque mon compagnon toucha ma main, et se levant, me conduisit
rapidement à travers la salle jusqu’à nous trouver au-dessous du centre de la
coupole. Nous arrêtant un moment devant la porte de la chambre funéraire,
234
Note de Conolly: «On raconte que, du temps de Shah Abbâs le Grand, Allâhverdi Khân
était aveugle et se prosternait continuellement dans le sanctuaire du saint. Venu accomplir ses
vœux, Shâh Abbâs remarqua l’aveugle et lui demanda combien de temps il avait été ici: “Quatre
ans” fut la réponse. “Ainsi”, dit le souverain, “je crains que tu ne sois un mauvais homme, et si
tu ne recouvres pas la vue lorsque je reviens de pèlerinage, j’ordonnerai que tu sois décapité”.
Le malheureux homme, dit-on, se hâta de distribuer largement l’argent en sa possession,
demandant aux spectateurs de le prendre et de prier pour lui; et le succès de leur intercession
auprès du saint fut tel que sur le lieu même il recouvra la vue, et construisit la mosquée en
reconnaissance de ce miracle.» On comparera cette histoire invraisemblable – Allâhverdî Khân
fut un général de Shâh ‘Abbâs Ier – avec celle, quasiment identique, racontée par Bassett (texte
[121]), et qui montre la perméabilité et l’adaptabilité de ce genre d’histoires.
235
Sur les lampes et les systèmes d’éclairage à l’époque qâdjâre, voir Willem Floor,
«Lighting equipment and heating fuel», in Encyclopædia Iranica, Online edition, 2005:
http://www.iranicaonline.org/articles/lighting-equipment-and-heating-fuel
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MASHHAD DANS LE MIROIR
DES VOYAGEURS OCCIDENTAUX
nous inclinâmes la tête dans sa direction pour la saluer, puis nous gagnâmes
une petite chambre dans laquelle se trouvait un magnifique candélabre doré, en
forme d’arbre, et doté de quarante branches de lumière. Pour achever le rituel,
nous aurions dû entrer dans le sanctum, et marcher autour de la tombe, mais la
lumière était trop forte pour qu’une telle action soit sûre, en particulier à cette
saison, car si l’alarme avait été donnée qu’un infidèle polluait le sanctuaire,
les zélotes à la porte auraient rapidement fait de lui un converti ou un martyr.236
Vámbéry, en 1863, a décrit la richesse de la salle237:
[40] Le tombeau, recouvert d’or tant à l’extérieur qu’à l’intérieur, est
incontestablement le plus riche tombeau du monde islamique, que même
Médine,238 Nadjaf (où repose Ali), Kerbala et Qom239 n’arrivent pas à égaler
en splendeur et en richesse. Bien qu’ayant été dépouillés et pillés à plusieurs
reprises, les coupoles, les tours et le grillage intérieur massif recèlent encore
aujourd’hui un trésor inestimable. Ainsi, les parois du tombeau sont-elles
recouvertes des joyaux les plus rares, offerts par de fervents chiites par amour
de leur saint. On peut voir ici une aigrette ornée de diamants (Dschikka), là une
épée et un bouclier parsemés de rubis et d’émeraudes [fig. 31], des bracelets
anciens cossus, des chandeliers massifs, des colliers de grande valeur. Ces
joyaux, et d’autres encore, exercent une impression si éblouissante sur le
Journey to the North of India, vol. 1, p. 234-235.
Ces richesses sont aujourd’hui majoritairement cachées. Des vitrines peu profondes,
enchassées dans les parties hautes des murs de la chambre funéraire sans doute à l’époque
qâdjâre, conservent des objets précieux, notamment des bijoux, des sabres et des plaques (voir
fig. 31 et, en persan, Goruh-e Dâ’eratolma’âref, Dâ’eratolma’âref-e Âstân-e Qods-e Razavî
[Encyclopédie d’Âstân-e Qods-e Razavî], vol. 1, Mashhad: Bonîâd-e pajuheshâ-ye eslâmî-ye
Âstân-e Qods-e Razavî, 1393S/2015, p. 392-402). Le Musée central expose des ornements
calligraphiés ajourés ou gravés dans des feuilles d’or, qui ornaient, à l’époque safavide, le
coffre de la tombe et le premier zarîh (Patrick Ringgenberg, Le sanctuaire de l’Imam Rezâ
à Mashhad, Téhéran / Londres: Candle & Fog, 2016, p. 77-78 et 82), L’essentiel des objets
précieux, cependant, est conservé dans la trésorerie d’Âstân-e Qods-e Razavî, situé sous le
Musée central et fermée au public.
238
Ville aujourd’hui en Arabie saoudite: le Prophète Muhammad y trouva refuge en
622 (année de l’Hégire) et y avait une maison, qui servait également de mosquée et sur
l’emplacement de laquelle on édifia, après sa mort, la grande mosquée de Médine, deuxième
lieu saint de l’islam après La Mecque.
239 La sœur de l’Imam Rezâ, Fâtemeh al-Ma‘sumeh, est enterrée à Qom, dans un mausolée
plusieurs fois transformé au cours des siècles; ses édifices actuels remontent pour l’essentiel
au XIXe siècle.
236
237
LE MAUSOLÉE DE L’IMAM REZÂ
visiteur, qu’il ne sait plus ce qu’il doit admirer en premier: la finesse de la
construction de la coupole, les fenêtres multicolores, les tapis parsemés de
diamants, le grillage en argent massif ou la foule recueillie.240
Bassett (1878) a évoqué également la chambre funéraire. Il donne une
dimension de trente-quatre pieds carrés (dix zarh persans) et une hauteur sous
coupole de presque soixante-dix-sept pieds (vingt-deux et demi zarh), c’est-àdire 23,5 mètres. Le sol, en pièces de marbre, est couvert de tapis. Les murs sont
couverts d’un revêtement de céramique: celles de la partie la plus inférieure
du mur furent faites sous le règne de Shâh ‘Abbâs et s’appellent «izarah». Il
évoque aussi le décor de mosaïque de miroirs couvrant la coupole,241 et écrit
du zarîh (fig. 30):
[41] Il y en a trois. L’un est en argent, l’autre en fer, le troisième en acier.
Des changements ont dû avoir lieu au cours des années, car les premiers
écrivains mentionnent un zerah [zarîh] intérieur en or. La porte du zerah est
fermée par un cadenas en or. La base du zerah est en argent massif. La salle a
trois portes. L’une est couverte d’un châle du Cachemire, dont les franges sont
faites de perles. Une autre porte est couverte d’une plaque d’or sertie de pierres
précieuses. On dit que l’ensemble a été offert par l’ancien trésorier du roi. On
rapporte également qu’il y a un sarcophage de marbre sous le zerah.242
Quelques années plus tard, C. E. Yate (1885, 1893-97) a évoqué
également trois zarîh:243
[42] Le premier, en acier, ne porte ni inscription ni date. Entre la première
et la seconde grille se trouve une œuvre en cuivre perforé, couverte de dorure,
placée là pour protéger la porte en joyaux de la seconde grille. La seconde grille
240
Meine Wanderungen und Erlebnisse in Persien, p. 320-321. Traduction de l’allemand:
Madeleine Ringgenberg.
241 Persia. The Land of the Imams, p. 225-226.
242 Persia. The Land of the Imams, p. 226.
243
Sur le zarîh, voir Patrick Ringgenberg, Le sanctuaire de l’Imam Rezâ à Mashhad,
Téhéran / Londres: Candle & Fog, 2016, p. 77-78 et 82-90. La Fondation du sanctuaire a
publié un beau livre sur la pose de l’actuel zarîh, en 2001 (Zarîh-e mehrbânî. Tasâvîr-e ta‘vîz-e
zarîh-e motahar-e hazrat-e Rezâ [Zarîh of Affection (The Holy Burial Chamber of Imam Reza
(P. B. U. H.) )], Mashhad: Mo’asseseh-ye âfarîneshhâ-ye honarî-ye Âstân-e Qods-e Razavî,
1394S/2015).
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MASHHAD DANS LE MIROIR
DES VOYAGEURS OCCIDENTAUX
30- La chambre funéraire et le troisième zarîh, dit «zarîh fulâdî» (le «zarîh d’acier»: fig. 101),
à l’époque de Rezâ Shâh Pahlavi dans les années 1930.
Archives Âstân-e Qods-e Razavî.
Dans la chambre funéraire visitée par les pèlerins, le tombeau de l’Imam se compose
d’une pierre tombale coiffée d’un coffre (autrefois en bois, aujourd’hui en marbre),
lesquels sont placés à l’intérieur d’une grande structure grillagée (zarîh) qui a été changée
à plusieurs reprises au cours des siècles. Du premier zarîh, placé en 1550, il ne reste que
quelques éléments de décor calligraphique, aujourd’hui déposés au Musée central
d’Âstân-e Qods-e Razavî. Le second zarîh, orné de joyaux et datant de l’époque de
Nâder Shâh (XVIIIe siècle), a été déposé dans une crypte souterraine, située sous la
chambre funéraire. Le troisième zarîh, en acier, fut posé en 1823 et transféré plus tard au
Musée central (fig. 101). Le quatrième zarîh, posé en 1960, fut également déposé au Musée
central après la pose du cinquième et actuel zarîh, installé en 2001 (fig. 81).